J’aime quand, fouillant dans les tréfonds de la toile et des modèles météos, une belle journée se dessine, au loin. J’aime la surveiller plusieurs fois par jours, la regarder évoluer au grès des affinements des prévisions, j’étudie tous les modèles pour être sûr qu’ils tombent d’accord. Au fil des jours, les belles conditions se confirment lentement ou s’infirment. Parfois même, elles s’améliorent encore. Je m’excite comme un gamin quand les prévisions se confirment et une mise à jour annonçant du moins bon peu me gâcher la journée. Cette journée de Dimanche 17 Mai, je la surveillais depuis 5 jours. C’est Luc qui m’a mis la puce à l’oreille. Une fin de « retour d’Est » avec une perturb froide et active qui s’évacue par le Golfe de Gêne. Les conditions annoncées coïncidaient parfaitement avec un beau vol que nous échafaudions au départ du col Agnel, dans le Queyras. Un déco plein EST à 2750m, un long cheminement sur des faces EST promettait un départ très tôt. De même qu’un retour et un bouclage par des faces Ouest autorisaient un bouclage tardif. Le petit vent de NE annoncé à 3000m était donc parfait pour nous pousser sur la première branche du triangle prévu. L’instabilité semblait bonne, avec tout de même un petit pincement sur la courbe laissant présager des étalements (qui se sont d’ailleurs confirmés). Une petite incertitude concernant l’ouverture de la route du Col Agnel m’avait poussé à monter en voiture 2 jours plus tôt. La route était fermée environ 2km sous le col, il faudra faire le reste à pied. Il neigeait fort ce jour là, je suis vite redescendu avant d’être bloqué.
Samedi soir, les copains, fatigués par une journée de vol dans le sud, me posent un lapin. Personne non plus dans les copains du club qui soit assez motivé pour se lever à 6H, marcher dans la neige et risquer de faire un tas au fond d’une vallée Italienne. J’hésite longtemps avant de me décider à y aller seul. La journée est là, je suis disponible, et ça c’est presque le plus dur, pas le choix, je cale mon réveil à 6H.
Départ 06H30 pour une bonne heure de route angoissante: la neige tombée Vendredi aura t-elle fondue ? Est ce que je monte pour rien ? Le verdict tombe rapidement, la neige n’a pas encore fondu, je dois m’arrêter 2 km plus bas que lors de ma reconnaissance. Merde ! j’aurai du partir plus tôt. Pas le temps de pinailler, sac sur le dos et je file au pas de course vers le col. Je peste contre ce regain d’hiver qui a déposé tout ça la veille, je finis finalement par me dire que si cette perturb n’était pas passée par là, elle n’aurait pas non plus mis en place les rares conditions adéquates à ce type de vol. La neige tombée la veille a croûté durant la nuit fraîche, mon gros sac et moi la traversons allègrement à chaque pas, parfois même jusqu’aux genoux. J’essaie de rester calme et de canaliser chaque excès de rage, généré par chutes à quatre pattes dans la neige écrasé par le poids du sac, en motivation pour le vol qui allait suivre. Ah, si je ne faisais pas de compète, je volerai en light depuis belle lurette.
J’atteins le col Agnel à 8H45 bien trempé malgré le froid, j’avais pour projet de décoller à 9H, C’est pas pire.
Pas un brin d’air, je me prépare tranquillement. Je suis prêt à 9H30, avec les premières bouffes. J’ai posé ma voile sur un replat, derrière moi, la pente plonge franchement. La neige dure que je transperce me bride énormément dans mes mouvements, deux essais infructueux, se terminent à 4 pattes, cramponné dans la neige, avec la voile qui glisse sous les pieds. J’ai l’impression d’être aussi gauche que « L’albatros » dans le célèbre poème de Baudelaire. Le ciel m’accueille enfin, mais ne me laisse pas vraiment le temps de souffler.
Il est très tôt, tout est plâtré de neige fraîche. Je commence par perdre 200m et me retrouve rapidement en survie sur un morceau de falaise bien orienté. Un rapide examen de la situation m’indique que je n’ai pas le droit de descendre plus bas. Dessous, il n’y a plus de relief susceptible de me faire remonter si tôt le matin, si je pose coté Italien, j’en ai pour la journée à remonter le col (qui est bien plus enneigé sur ce versant) puis redescendre coté Français (toujours à pied). Cette première heure de vol a été comme un vol dans le vol, totalement différent de la suite, tellement douce dans les bullettes du matin, mais tellement angoissante par l’interdiction de faire un tas et la pression du temps qui passe et qui ferme la porte à mes objectifs.
Les barbules s’épaississent et m’accueillent enfin. Il manque encore du plaf pour passer le col à 2850 très plat qui ouvre la porte vers la haute Ubaye. Je patiente 1H et fait 4 tentatives. La 5 ème sera la bonne, je plonge enfin poussé par le vent d’Est annoncé vers la suite d’un vol dément.
Je m’applique sur les premiers kilomètres. Il est encore tôt et le vent d’Est qui me pousse a une fâcheuse tendance à descendre au fond de la vallée et m’appuie joyeusement sur la tête. Je fais enfin un vrai plein à la verticale du col qui relie l’Ubaye et le Queyras (Ceillac).
La suite déroule mieux, la brise n’est pas levée et ne me contre pas même lorsque je descends un peu dans la vallée.
L’objectif est de raccrocher « La Blanche » plus au Sud, aux alentours du pic de Bernardes. Je traverse donc la vallée de l’Ubaye et rebondis facilement sur les faces bien éclairées de l’autre coté. La transition suivante me dépose sur la brettelle d’entrée de l’autoroute de la Blanche. Je ne la quitterai plus jusqu’à St André, avec un petit ralentissement à Côte Longue avant de tomber dans le cycle.
Je tourne le Pic de Chamate, km90, à 14H, une Heure plus tard que prévu. La faute à cette extraction difficile au début. Je sais que je vais devoir revoir mes objectifs, le 300kil en FAI sera pour un autre jour. Pour l’instant je me régale et c’est très bien comme ça.
Sur le chemin du retour, je commence à entendre les copains du club, en radio, ils sont partis de Serre Buzard et me donnent des infos sur les conditions. Pas mal de Nord dans le Champsaur. 15H30, je suis de retour à Dormillouse et les infos des copains se confirment, Le Champsaur est sous les nuages et on devine un espèce de Foehn dû au vent qui s’engouffre entre Grenoble et Gap. la route du Nord est barrée. Tant pis, un petit détour par le Mt Guillaume histoire d’agrandir un peu, pourquoi pas jusqu’aux « Gourniers » et puis je rentre. Rémi et Pascal me rejoignent à Dormillouse pour l’un et au Mt Guillaume pour l’autre. On se hurle des politesses du genre « tu viens d’où ? » « Tu vas où ? « . Décision est prise de terminer cette belle journée ensemble. Ils m’accompagneront jusqu’au col Agnel pour profiter de ma voiture laissée là bas. Finir un vol splendide avec des copains croisés au hasard vaut bien plus cher que faire quelques km supplémentaires. C’est sans regret que je tourne mon bord d’attaque vers l’Est, direction le Queyras.
Un Ceillac des grands jours nous accueille, des conditions très douces dans cette fin d’après midi, mais des plafs superbes. 3800m dans un petit 2ms comme dans du beurre. Je suis maintenant sûr de boucler, je me détends et profite des lumières, des contrastes créés par ce regain d’hiver au beau milieu d’un Printemps déjà bien établi. Pascal et Rémi prennent l’ascenseur suivant et me suivent de près.
La Glissade se poursuit, toujours aussi douce, les yeux grands ouverts. Plus que 10km de bonheur. Je m’enfile dans la vallée de l’Agnel. Brutalement, ça n’avance plus, et ça descend. Le vent d’Est est toujours là et dégouline du col. Obligé de sortir le barreau pour avancer et espérer boucler.
C’est la dernière photo que je prendrai. La dégueulante s’accélère encore et ma concentration se borne maintenant à essayer de définir un point d’aboutissement compatible avec un atterrissage digne de ce nom et si possible un bouclage en règle (3Km du décollage). Encore 1500m à faire, bon dieu y a que des pentes raides sur cette face Ouest. Je vise un petit replat dans les pentes, pousse encore un peu plus fort pour l’atteindre. Ma voile est comme écrasée, j’ai l’impression que je tombe. Je n’atteindrai pas le replat, je m’écroule lourdement dans des pentes raides 30m dessous. Pas de bobo, je me relève et constate qu’il y a effectivement 20km/h de vent descendant la pente. Je préviens Rémi et Pascal qui arrivent avec un peu plus de marge et trouvent un atterro correct. Je regarde enfin mon gps, posé à 2,975 km du décollage … Serions nous incorrigibles ?
Le temps de plier, je remonte chercher la voiture et passe récupérer les copains posés juste en dessous. Accolades et félicitations sont de rigueur au milieu de splendides éclats de rires en voyant Pascal sortir de son cocon en Short et enfiler les tongs rangées au fond de son sac. Il faut dire qu’il est parti de Sospel (06) et que le climat était tout autre.
Un vol inoubliable, qui n’est pas sans en appeler un suivant qui sera, je l’espère, un peu plus géométrique.
http://parapente.ffvl.fr/cfd/liste/2014/vol/20164739
Damien.